La loi de l’attraction et la pensée positive sont aujourd’hui omniprésentes dans le milieu du bien-être et de la spiritualité, que ce soit dans la bouche de coachs, de professeurs de yoga, ou de citations sur fond de jolis paysages sur les réseaux sociaux. Chez Citta Vritti, on pense qu’il faut en finir avec la loi de l’attraction, et on vous dit pourquoi.
La loi de l’attraction, c’est un peu le marronnier dans le milieu bien-être / spiritualité / développement personnel / yoga / New Age. Un peu comme Le Point qui nous gratifie chaque année de son classement des meilleurs hôpitaux, il est difficile quand on baigne dans l’univers du yoga d’échapper à cette fameuse loi de l’attraction et à ses dérivés, tou.te.s initialement issu.e.s d’un même courant, celui de la pensée positive. Elles sont aujourd’hui toutes deux devenues tellement mainstream qu’elles influencent le monde politique et économique.
Petit disclaimer en préambule : j’ai conscience que les personnes qui l’enseignent ne pensent pas forcément à mal et je remercie celles qui ont partagé avec moi leur expérience personnelle sur comment ces théories ont pu les aider. Si certain.e.s trouvent du réconfort ou du pouvoir personnel dans de telles théories / pratiques, tant mieux, mais l’exemple ne vaut pas démonstration et ne valide pas le bien-fondé d’une théorie. Je ne cherche pas par ailleurs à ridiculiser les personnes qui y croient ou qui en font usage mais à retracer l’histoire d’une telle pensée et de ses influences, à alerter sur ses conséquences philosophiques, politiques, et sociales et à rappeler son absence de validité scientifique malgré des recours répétés au jargon scientifique pour la légitimer.
Ce que nous dit la loi de l’attraction
Commençons par nous intéresser à ce que nous dit cette fameuse loi de l’attraction.
Prenons simplement les mots de Rhonda Byrne, icône du développement personnel australienne qui a contribué à la populariser en 2006 avec son livre Le Secret :
« Ce qui se ressemble s’assemble. Ce à quoi vous pensez maintenant façonnera votre vie future. Vous créez votre vie avec vos pensées. Vous créez sans arrêt parce que vous pensez sans arrêt. Ce à quoi vous pensez le plus ou ce sur quoi vous vous concentrez le plus, est ce qui se manifestera dans votre vie. »
Le Secret, Rhonda Byrne, P.25
Elle affirme ainsi que notre réalité est le reflet exact de nos pensées, qu’elles soient conscientes ou inconscientes. Nos pensées « positives » attireraient ainsi des expériences positives et nos pensées « négatives » des expériences négatives. Comment cela est-ce possible ?
Cela repose sur l’idée que nous sommes des êtres de pure énergie, et que les énergies de même nature / fréquence / vibration s’attirent. Nos pensées vibreraient à une certaine fréquence, différentes selon si ces pensées sont « négatives » ou « positives » (la subjectivité des notions de « positif » ou « négatif » en fonction des époques, des cultures, ou des individus ne semble pas poser problème. Selon Rhonda Byrne, les pensées « positives » sont celles qui nous font sentir bien et « négatives » celles qui nous font sentir mal. La complexité de la psyché humaine peut donc aller se rhabiller : quid des normes intériorisées par exemple ?). Ces ondes seraient transmises à l’Univers ( ? ), qui nous renverrait en écho des ondes sur la même fréquence.
Pour résumer, ce sont nos pensées qui créent notre réalité et nos circonstances extérieures, via un jeu de résonances vibratoires. Après tout, pourquoi pas, si cela était présenté comme une opinion, une croyance personnelle. Mais non, cette affirmation est présentée par ses partisans comme une loi fondamentale physique de l’univers, au même titre que celle de la gravité. Elle régirait ainsi incontestablement le fonctionnement du monde, et se vérifierait sans exception aucune, s’appliquant à chacun d’entre nous, qu’on en ait conscience ou non :
« Nous vivons dans un univers dans lequel il y a des lois, tout comme la loi de la gravité. Si vous tombez d’un immeuble, peu importe que vous soyez une bonne ou une mauvaise personne, vous vous écraserez sur le sol. La loi de l’attraction est une loi de la nature. Elle est aussi impartiale et impersonnelle que la loi de la gravité. Elle est précise, et exacte. »
the secret, Rhonda Byrne, p.27
Si vous êtes tenté.e.s de dire à la lecture de cette introduction que ces définitions sont caricaturales, et qu’elle ne reflète pas réellement la subtilité de cette « loi », je vous laisse poursuivre la lecture pour constater que malheureusement, ses plus grands partisans ne s’embarrassent d’aucune nuance.
Une brève histoire de la pensée positive
Remontons au milieu du 19e siècle, aux Etats-Unis, pour mieux comprendre la genèse d’une telle pensée. En réaction au rigorisme du calvinisme, certains métaphysiciens chrétiens américains commencent à propager l’idée que Dieu n’est pas si dur, que l’homme n’est pas voué à une vie de tourments, et que le monde est plein de promesses. Pour délivrer un tel message, ils s’appuient sur un mélange décomplexé des différents courants en vogue à l’époque : transcendantalisme, occultisme, mysticisme, sagesses orientales (interprétées sauce fin 19e). Ce qu’on appellera ensuite la Nouvelle Pensée cherche à présenter une nouvelle image de l’homme, considéré comme un « être divin capable de surmonter toutes les difficultés (y compris la maladie) par le pouvoir illimité de son esprit » (Carl Cederström & André Spicer, Le Syndrôme du bien-être, p. 93)
L’un des principaux artisans et diffuseur de cette théorie est un certain Phineas Quimby, métaphysicien, horloger et magnétiseur. Tombé malade de la tuberculose, il en guérira sans traitement (il n’en existe pas de fiable à l’époque) et développera alors l’idée selon laquelle nos maladies viennent uniquement de nos croyances. Comment expliquer cela ? Par le pouvoir du mental. Bien qu’il n’utilise pas le terme de « loi de l’attraction », il émet la théorie selon laquelle les pensées erronées émettent une certaine énergie, et que cette énergie émise par nos « fausses croyances » serait à la source de nos maladies. Il dit ainsi « un individu est ce qu’il pense être, et il est malade car il le croit. Si je suis malade, je le suis parce que mes sensations sont ma maladie, et ma maladie est ma croyance, et ma croyance est mon mental. C’est ainsi que toute maladie est dans le mental (…) pour guérir une maladie, il faut corriger l’erreur ; et comme la maladie est ce qui suit l’erreur, détruisez la cause et l’effet cessera. » (Phineas Quimby, Complete Writings).
Exit donc les agents pathogènes, les virus, les microbes, et aujourd’hui, les effets des perturbateurs endocriniens, de la pollution, des nuages radioactifs, de l’agent Orange, bref RIP la médecine moderne, si vous êtes malades, c’est à cause uniquement de vos croyances, selon Phineas Quimby. Il est ainsi le premier à établir une théorie de la guérison mentale, c’est à dire que pour guérir, il suffirait de changer nos pensées. Il est le précurseur de la Nouvelle Pensée, qui s’articulera autour de cette thèse du mental « guérisseur ». Sa pensée continuera de se diffuser via différentes organisations religieuses montées par ses disciples. Ainsi, l’histoire de la pensée positive prend racine, il faut quand même bien le noter, dans une pensée religieuse chrétienne, et sera diffusée à ses débuts comme telle.
Le terme « loi de l’attraction » sera quant à lui sans doute utilisé pour la première fois par la très controversée occultiste et fondatrice de la société théosophique Helena Blavatsky, dans son fameux livre « Isis Dévoilée » (1877), où elle étend, en deux coups de cuillères à pot la loi physique de l’attraction universelle (gravité) au domaine des pensées. Une dizaine d’années plus tard, c’est Prentice Mulford, un humoriste et auteur californien, figure clé de la Nouvelle Pensée, qui articulera plus précisément la loi de l’attraction dans son livre Your Forces and How to Use Them, paru en 1886. Cette idée continuera ainsi faire son chemin dans les cercles religieux et ésotériques du début du siècle, avec en 1906, la publication de « Vibration de la pensée. La loi d’attraction dans le monde de la pensée » par William Walker Atkinson (un personnage majeur haut en couleurs de la Nouvelle Pensée, qui n’hésite pas à inventer ses rencontres avec des « maîtres indiens » dont personne n’a jamais pu retrouver la trace), et en France, l’occultiste Hector Durville qui publiera « Magnétisme personnel ou psychique » en 1905, qui explique également comment nos pensées composent des champs énergétiques qui affectent notre taux vibratoire et attirent selon leur fréquence des personnes, des situations et des événements en résonance avec notre état intérieur.
Les héritiers de Phineas Quimby et de la Nouvelle Pensée étendront ainsi peu à peu l’idée d’un pouvoir illimité du mental à d’autres sphères que celles de la santé, comme celles des relations interpersonnelles et du succès professionnel.
De la pensée positive au développement personnel
Un peu plus d’un demi-siècle plus tard, en 1952, un pasteur ultraconservateur biberonné à la Nouvelle Pensée, Norman Vincent Peale, sortira un ouvrage nommé Le pouvoir de la Pensée Positive, qui consacrera la popularisation de la pensée positive. Parenthèse ouverte : si tout cela ne vous semble être finalement qu’un lointain cousin de cette bonne vieille méthode Coué (moins sexy sur Instagram que « Loi de l’Attraction », je vous le concède), et bien vous avez raison. La seule différence, c’est que la méthode Coué ne s’appuie pas sur des théories « énergétiques » et « vibratoires » de dialogue entre vos ondes et celles de l’Univers mais sur le principe de l’autosuggestion. Ce qui n’en fait pas une méthode vérifiée pour autant. Enfin bref, ce Norman Vincent Peale est un sacré personnage, qui aura influencé bon nombre de présidents américains, notamment conservateurs. Nixon, Reagan, Bush Père et … Trump, ont ainsi indiqué que le pasteur avait été une source d’inspiration pour eux (Trump n’a évidemment pas pu s’empêcher de crâner en affirmant que Peale « thought I was his greatest student of all time. ». No comment.).
Ce qui m’amènera plus tard à vous parler des conséquences politiques, sociales et économiques non négligeables de cette pensée, dont l’influence ne se cantonne malheureusement pas à quelques quidams férus de yoga et de développement personnel.
Des cercles religieux et ésotériques à la culture mainstream
Sortant petit à petit des cercles religieux qui les ont vu naître, la Nouvelle Pensée et la pensée positive influenceront ainsi les premiers livres du développement personnel, qui déclinent tous globalement la même idée : « vous êtes des êtres au potentiel illimité, vous pouvez façonner votre vie comme vous l’entendez, l’accès à la réussite est une question de volonté et de mentalité ».
Consignée jusque là principalement à des cercles ésotériques ou religieux, la loi de l’attraction connaîtra son heure de gloire et deviendra mainstream au début des années 2000, avec la parution du livre The Secret, best-seller vendu à plus de 24 millions d’exemplaires, publié donc par la fameuse Rhonda Byrne, dont voici le résumé : « Vous tenez entre vos mains un grand secret. Il a été transmis à travers les âges, on l’a ardemment convoité, on l’a caché, perdu, volé et acheté à prix d’or. Ce secret séculaire a été compris par certains des personnages les plus célèbres de l’histoire : Platon, Galilée, Beethoven, Edison, Carnegie, Einstein – ainsi que par d’autres inventeurs, théologiens, scientifiques et grands penseurs. Maintenant, le secret est révélé au monde entier. En prenant connaissance du secret, vous découvrirez comment vous pouvez avoir, être ou faire tout ce que vous voulez. Vous découvrirez qui vous êtes vraiment. Vous découvrirez la véritable magnificence qui se trouve à votre portée. »
Voici venu le moment de vous accrocher. Je vais me contenter en préambule de vous partager deux citations de l’ouvrage, qui parlent d’elles-mêmes :
« Si vous vous plaignez, la loi de l’attraction générera dans votre vie davantage de situations dont vous pourrez vous plaindre. Si vous écoutez un individu se plaindre et y accordez toute votre attention, sympathisez avec lui, êtes d’accord avec lui, vous attirez alors à vous davantage de situations desquelles vous plaindre. »
The Secret, Rhonda Byrne, p.17
Exit les copains qui dépriment, ces loosers risquent de plomber vos fréquences vibratoires et de brouiller votre message à l’Univers. Si vous vous réveillez avec un furoncle après avoir passé la soirée avec eux, vous ne pourrez vous en prendre qu’à vous-même.
Et le plus cruel est à venir :
« Pourquoi croyez vous que 1% de la population gagne 96% de la richesse mondiale ? (…) les personnes qui sont devenues riches ont eu recours au secret, que ce soit de façon consciente ou inconsciente. Elles pensent à l’abondance et ne laissent aucune pensée contradictoire cheminer dans leur esprit »
The Secret, Rhonda Byrne, p.6
RIP la science politique, la socio et l’analyse économique, RIP la justice sociale, et aussi, RIP le respect.
En parlant avec des personnes qui croient en la loi de l’attraction, on m’a souvent dit que ce n’était pas si caricatural. Et pourtant, ses partisans, qui ont contribué à son succès et à sa popularité ne s’embarrassent pas de telles nuances. Norman Vincent Peale a ainsi écrit un livre qui s’appelle Quand on veut, on peut. Et Rhonda Byrne n’hésite pas à dire que si les pauvres sont pauvres, c’est parce qu’ils ont, consciemment ou inconsciemment, une mentalité de pauvres. Rien à voir avec les inégalités structurelles, avec l’accaparement des richesses par un petit nombre de privilégiés, avec la domination qu’exerce certaines catégories de population sur d’autres, rien à voir avec la colonisation (faut dire que les colons devaient avoir une sacrée mentalité de winners, contrairement aux esclaves).
Si vous trouvez que j’exagère, je vous laisse avec cette dernière information : Rhonda Byrne n’hésite pas à attribuer la responsabilité du tsunami de 2004 dans l’Océan Indien (environ 250 000 morts et disparus) à … ses victimes, qui « conformément à la loi de l’attraction, devaient sans doute cultiver des pensées négatives quand la catastrophe est arrivée » . Même chose pour tous les autres évènements historiques qui auraient vu la mort de millions d’êtres humains : c’est parce que « la vibration de leurs pensées était sur la même longueur d’onde que l’événement qui les a tués » (p.28). Fin de la citation, je vous laisse faire le point Godwin tout seul, et RIP le respect bis.
Un développement personnel très politique
Pour résumer la pensée de Rhonda Byrne, nous sommes ainsi personnellement responsables de tout ce qui nous arrive : « Nothing can come into your experience unless you summon it through persistent thoughts. » en page 28, soit en français : « Aucune expérience ne vient à vous à moins que vous ne l’ayez appelée à vous à travers vos pensées persistantes »
Les difficultés et joies de nos vies ne sont jamais le fait de nos conditions d’existence ou des circonstances extérieures, mais uniquement aux choix que nous faisons. Ainsi, « perdre notre emploi n’est pas le résultat de la crise économique ; c’est la conséquence de notre pessimisme. Survivre à un cancer du sein n’est pas le résultat de traitements médicaux ; c’est le fruit de notre volonté » (Carl Cederström & André Spicer, Le Syndrôme du bien-être, p.93)

Nous sommes ainsi entièrement responsables de notre destinée, et il n’appartiendrait qu’à nous de la transformer. Il est aisé de voir comment cette vision de l’individu rencontre et nourrit celle de l’agent idéal du néolibéralisme, dans son versant psychologique : celle d’un individu complètement autonome et indépendant, entièrement responsable de sa propre destinée. Si le néolibéralisme devait tenir en une phrase, ça serait celle de Margaret Thatcher : « There is no such thing as society ».
La pauvreté, la précarité, les injustices, ne seraient ainsi pas dues à des inégalités structurelles, ni à des choix de politiques publiques, mais parce que, comme le dit finalement si bien Gérard au comptoir du PMU ou certains présidents de la République, ces cons de pauvres manquent juste de bonne volonté pour s’en sortir ; rappelez-vous, il suffirait de traverser la rue pour trouver un emploi.
Les conséquences sociales et politiques de la popularisation de la pensée positive et de son corollaire la loi de l’attraction sont ainsi dramatiques. Et si vous pensez que j’exagère l’influence de la pensée positive sur les sphères économiques et politiques, pensez simplement à notre cher Raffarin (oui, c’était presque le bon vieux temps) qui vantait, aux côtés de Laurie, la « positive attitude » (désolée si vous avez maintenant cette chanson insupportable dans la tête), ou lisez l’article (en anglais) de la journaliste Catherine Bennett qui parle de l’influence de The Secret sur David Cameron, ancien premier ministre britannique ici. Et pour compléter, je vous invite à lire Happycratie, d’Eva Illouz et d’Edgar Cabanes, Le Syndrome du bien-être de Carl Cederström et André Spicer, et Bright Sided de Barbara Ehrenreich, qui nous éclairent sur les racines communes de la pensée positive et de la psychologie positive, et comment elles tracent une vision de l’individu qui infuse largement les milieux politiques et managériaux.

La psychologie positive, héritière de la pensée positive, signera à l’aube des années 2000 l’entrée de la « positive attitude » dans les milieux académiques, économiques et politiques. Il faut noter que la psychologie positive cherche à se différencier formellement de la pensée positive. Il est vrai qu’elle s’en distingue notablement sur certains points absolument non négligeables : sous-domaine de la psychologie, elle repose sur des études menées par des psychologues qualifiés dont les résultats sont publiés dans des revues révisées par les pairs, conformément aux pratiques de la communauté scientifique. Par ailleurs, elle ne repose pas sur des théories énergétiques ou vibratoires pour expliquer que le « positif attire le positif », et ne cite pas pêle-mêle Bouddha, Platon, Einstein et Edison, sortis de leur contexte, pour soutenir ses propos. Néanmoins, le créateur de la psychologie positive, Martin Seligman, reconnaîtra lui même les racines communes de la pensée positive et de la psychologie positive, qui reposent sur l’idée selon laquelle l’individu est un être aux potentialités illimitées, et qu’une attitude positive est la clé du bonheur et de la réussite (et non le contraire). En un tour de main, on individualise, on privatise la question du bien-être, en faisant une affaire entièrement personnelle plutôt qu’un horizon collectif. Alors, à quoi bon se battre pour un meilleur salaire, une meilleure couverture sociale, ou une meilleure retraite, alors qu’il suffit de travailler sa « positive attitude » pour être heureux, si réussite et bonheur dépendent effectivement uniquement ou principalement de nos dispositions intérieures et d’un travail sur soi ?
Flairant le bon filon, cette discipline sera dès sa naissance abondamment financée aux Etats-Unis par des acteurs politiques néo-conservateurs (think tank, fondations), qui ont bien vu l’aubaine qui consistait à avoir une discipline académique qui affirmait que le succès personnel et professionnel, c’était principalement dans la tête de chacun. La psychologie positive et ses conclusions (bien qu’éminemment critiquées, notamment sur son objet de recherche « scientifique » : le bonheur – que même Martin Seligman, finira par reconnaître comme étant non objectivable, et donc, ne pouvant faire l’objet d’une approche scientifique ) ont étendu leur influence dans les sphères politiques mais également managériales : un bon employé n’est ainsi pas seulement un employé qui fait bien son boulot. Il doit également être enthousiaste, flexible, adaptable, positif. Un plan de restructuration ? L’employé modèle, au lieu de paniquer de se faire virer en pleine période de chômage structurel, devra plutôt se réjouir de cette « opportunité de changement » (d’ailleurs, on appelle aujourd’hui les plans de licenciement des « plans de sauvegarde de l’emploi » !) s’il veut s’en sortir. Une pandémie qui met à zéro ton activité ? le prof de yoga modèle devra plutôt se réjouir de cette opportunité inédite de se « recentrer sur soi », au risque de s’attirer encore plus de malheur s’il s’aventurait une minute à penser le contraire, #grateful.
Tant mieux si nous pouvons transformer certains coups durs en opportunités, et heureusement. Mais cela doit être le résultat d’un chemin personnel et non la conséquence d’une injonction à « rebondir » immédiatement en toutes circonstances . Ainsi dans beaucoup de cas, un coup dur est juste… un coup dur, et se forcer à ne pas s’en plaindre, à ne pas être en colère face à une situation d’injustice, ne pas être amer ou abattu face à l’adversité sous prétexte que cela attirerait à nous des expériences encore plus négatives, c’est tout simplement cruel, culpabilisant, et extrêmement anxiogène et bien souvent, contre-productif. Enfin, on voit bien qui aurait à gagner qu’on accepte avec le sourire des plans de licenciement comme des opportunités de rebondir, et qu’on subisse des injustices structurelles tout en promettant d’être encore plus optimiste, adaptable, flexible, pour nous en sortir.
Au-delà de la cruauté de telles assertions, et du maintien d’un statut quo au profit des dominants, il faut également rappeler que ces théories de la pensée positive et de la loi de l’attraction, malgré un recours abondant au jargon scientifique, qui a bon dos quand il s’agit de valider des thèses ésotériques, et moins bon dos quand il s’agit de vaccination et de virologie, sont absolument improuvées voire critiquées par la communauté scientifique.
Physique quantique is the new “New Age”

Les défenseurs de la loi de l’attraction n’hésitent pas à souligner sa validité scientifique. Rappelez vous, il s’agit d’une loi de la nature, au même titre que celle de la gravité. Et s’en suivent moult explications mi-radiophoniques, mi-neuroscientifiques, mi-physique quantique, généralement expliquées par des personnes qui n’ont pas poussé les études scientifiques bien loin, mais après tout, la physique quantique, c’est comme l’épidémiologie, quand on a un brin de bon sens c’est quand même pas vraiment compliqué. Enfin bon, ce pauvre Einstein est appelé à la rescousse régulièrement, en prenant toujours soin d’extraire une pauvre citation d’on ne sait où (citez vos sources svp), sans contexte. Quand ce n’est pas Einstein, c’est le Buddha, qui bien qu’il ne soit pas scientifique, fait figure d’autorité. Quand on sait que la première noble vérité du bouddhisme est « Tout est souffrance », j’ai du mal à croire que Bouddha ait conseillé de vibrer plus haut pour attirer son dream job, son dream car, ou son dream soulmate dans ses filets.

La plupart du temps, ses auteurs se contentent de fournir un amoncellement d’exemples de « tel patient pour qui ça a fonctionné du tonnerre », mais alors, qui est ce patient, mystère et boule de gomme, vous savez, un peu comme ces textos qu’on recevait au début de la pandémie, dans lesquels tout le monde se découvrait un cousin « haut placé au Ministère », ou encore le fameux « ami noir » de tous les racistes que personne n’a jamais vu.
Bref, il n’en reste pas moins que la loi de l’attraction n’a jamais été prouvée par qui que ce soit, que la physique quantique n’appuie absolument pas les affirmations selon lesquelles nos pensées génèrent des « ondes quantiques » qui traverseraient notre crâne, et encore moins que des ondes nous sont renvoyées par l’Univers. Les neurosciences ne prouvent absolument pas que nos pensées émettent des ondes de qualité différentes en fonction de si elles sont « positives » ou « négatives ».
Si certains scientifiques s’expriment dessus, regardez en général leur domaine de compétences, qui n’est souvent absolument pas celui sur lequel il se prononce. Ce n’est pas parce qu’on est géologue qu’on est apte à parler de neurosciences plus que vous et moi. Et pour les rares qui s’expriment sur leur domaine de compétences sur ce sujet de loi de l’attraction, ce n’est jamais sur la base d’études publiées dans des revues scientifiques sur le sujet, ni sur la base de protocoles ou de résultats précis de recherche. Utiliser son statut et sa renommée scientifique ne fait pas office de preuve, et il faut garder en tête que tout être humain, scientifique de métier ou non, a ses croyances, ses superstitions. Si vous croyez à ces histoires de fréquence vibratoire, je m’en fiche, chacun ses idées, mais pitié arrêtez d’appeler ça une loi et de vous réclamer d’une quelconque scientificité qui trompe les âmes les plus crédules.
En revanche si vous pensez vraiment que c’est une loi universelle de la nature et qu’il est possible de le démontrer, construisez un protocole, trouvez des fonds, et lancez votre programme de recherche avec tous les génies des neurosciences et de la physique quantique qui défendent la loi de l’attraction, et en se concentrant bien fort sur la réussite de votre étude, l’Univers devrait vous renvoyer l’ascenseur. Ne me remerciez pas.
Faut il tout jeter à la poubelle ?
Sur le fond : oui. Sur la forme, je vois bien ce qui peut séduire et aider dans la loi de l’attraction. Déjà, le côté motivationnel. Pour enfoncer des portes ouvertes, oui, quand on est de bonne humeur et / ou qu’on se sent en forme, confiant, alors effectivement, on a plus de chance d’être convaincant à un entretien d’embauche, ou de faire de nouvelles rencontres que si on arrive abattu ou déprimé. Ça valait bien le coup d’en faire une loi. Néanmoins, cela ne prouve en rien que cela soit le fait de vibrations quelconques, et par ailleurs, si cela met plus de chances de notre côté, notre état d’esprit « positif » n’assure pas seul que nous obtiendrons ce que nous désirons, car, incroyable, nous ne sommes pas seuls sur terre, et peut être que nous sommes une armée de gens positifs à vouloir le même job ou à avoir la même personne de nos rêves et à les désirer ardemment, et que tout positif que nous soyons, nous ne sommes pas tout puissants, et peut-être que l’Univers à autre chose à faire que de s’intéresser à votre future voiture.

Il ne s’agit pas ici de dire que tout votre destin vous échappe, et que votre attitude, votre travail ne valent rien dans la réalisation de vos rêves. Mais simplement que vous n’êtes pas tout-puissant, que vous faites sans doute de votre mieux, et que si ça foire, c’est pas forcément parce que vous avez mal vibré ou eu des pensées “négatives”, et s’il vous arrive des merdes, et bien croyez le ou non, ce n’est pas forcément de votre faute. Les explications simplistes empêchent finalement de rechercher en profondeur les racines, les causes de ce qui n’a pas fonctionné (et parfois, d’admettre qu’on en sait rien…) et s’empêcher d’avoir des “pensées négatives” devient contre-productif et culpabilisant (ce qui a pour le coup été souligné par les tenants de la psychologie positive).
Si on se penche sur la méthode proposée par la loi de l’attraction, et qu’on se détache de ses élucubrations pseudo-scientifiques, alors oui, il n’y a absolument rien de mal, à s’appuyer sur la méthode qu’elle suggère, qui consiste à 1. définir nos désirs profonds, 2. à chercher à formuler clairement nos besoins, 3. à adopter une attitude qui correspond à ce qu’on souhaite obtenir. Et que cela peut bien sûr nous aider à imaginer une vie qui nous correspond, qui nous plaît mieux.
Mais en faire une loi scientifique universelle à base de vibrations quantiques, en faire une injonction à la positive attitude sous peine de nous menacer des pires malheurs, ou en faire un programme politique culpabilisant qui individualise la souffrance et surresponsabilise les individus : please, STOP.
Laisser un commentaire