Culte de la personnalité, propagande, fausse modestie : l’interview de Zineb par Jeanne

Pour fêter la sortie de son premier livre, Le Yoga, nouvel esprit du capitalisme, aux éditions Textuel, j’ai interviewé Zineb Fahsi. Connivence, manque d’esprit critique, platitude de l’échange, zeste de wokisme, mais tendance à l’essentialisation malgré tout, soupçon de vulgarité … Nous espérons que ce grand entretien vous ravira autant que nous avons ricané bêtement à l’enregistrer. Mais plus sérieusement qu’il vous incitera, si ça n’est pas déjà fait, à vous procurer son livre qui, lui, résulte de plusieurs années de réflexions personnelles et de travail de mise en perspective fouillé sur la dimension politique du yoga actuel.

Jeanne P  | Le titre de ton livre sonne comme un hommage à Ève Chiapello, Luc Boltanski  [Le Nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999] et Ysé Tardan Masquelier  [L’Esprit du yoga, Albin Michel, 2005]. Est ce que tu passes encore les portes ? 

Zineb F. | Écoute c’est un peu difficile car j’ai été propulsée sur le devant de la scène des grands du yoga comme on dit … Mais comme désormais je marche sur les mains, cela résout le problème : je passe les portes en marchant sur les mains.

Peux tu nous partager ta morning routine inspirante ?

Je me lève, je nettoie les fesses de ma fille, ensuite j’essaye péniblement de prendre un café même si je ne suis pas censée le faire car j’allaite. Si je fumais des clopes j’en fumerais une, mais je ne fume pas. Je mets de l’eau (du robinet) sur mon visage, “Eau de Lyon” de Service Public. Ensuite, je vocifère des affirmations positives face à mon miroir avec un œuf de jade entre les fesses, comme par exemple : “Darmanin, démission” ou encore “Aaaaah, anti, anticapitaliste” afin de manifester la fin du capitalisme. Et enfin, je traîne sur Instagram, sur des comptes inspirants bien évidemment, avant d’entamer une journée très productive. Mais comme je suis prof de yoga, je ne fais pas grand chose. 

Ton mantra pour rester positive ?

Pas facile car je ne suis pas quelqu’un de très positif. Une pub Nestlé au Maroc : “Tout passe tout lasse, sauf Nestlé glaces”, ça m’accompagne depuis. 

Si tu devais être l’égérie d’un “produit yogique”, ça serait quoi ?

Tu le sais bien, les coussins pour les yeux ou “eye pillow”! D’ailleurs si vous m’écoutez je n’accepte pas de partenariats sauf pour ces petits coussins incroyables qui sentent trop bon. Senteur lavande et pour les textiles n’hésitez pas à m’envoyer des échantillons pour que je puisse faire mon benchmark.  

Ton chakra préféré ?

Le chakra du coeur évidemment, pour la bienveillance avant tout. 

Est-ce que tu as un nom spirituel ?

Je fais partie de ces gens qui ont demandé leur nom de Kundalini sur le site de 3H0 (à l’époque où ça n’était pas encore payant), et mon nom ressemblait à celui d’un prince tartare genre Hansdev Kaur. Je crois que ça voulait dire un truc éminemment positif comme “la personne qui propulse de la joie autour d’elle”. Voilà … Comme on dit : “I have been there, I have done that”. 

Pendant cette promo tu as écumé beaucoup de merdias, quelle est ta plus grande fierté ? 

Ma plus grande fierté réelle c’est le Monde Diplo qui m’a contactée, alors là j’avoue que mon petit coeur de gauchiasse, islamo-gauchiste, féminazie s’est accéléré. Et évidemment Citta Vritti. 

La question la plus wtf à laquelle tu aies du répondre en interview ? 

On m’a demandé si j’étais d’accord avec le fait que les gens étaient aveugles et que le yoga était là pour leur ouvrir les yeux et les libérer de leurs chaînes. Et aussi si je pensais qu’il fallait laisser la santé aux mains de la sécu … Je n’ai toujours pas compris en quoi la sécu soignait les gens ni le rapport avec mon livre. 

Maintenant que tu es (temporairement) le bad cop de notre duo grâce à ce livre qui fait grincer des dents certaines personnes que l’on ne citera pas : ça fait quoi d’avoir des trolls ? Qui sont-ils et que mangent-ils ?   

La sociologie fait que ce sont majoritairement des mecs, sur Facebook, de grosso modo 50 ans et plus et qui ont l’air de faire partie du mood “yoga authentique”, “je pratique le tantra shivaïte des origines”, “mais je traîne quand même toute la journée sur Facebook pour te troller”, antiwokes parce que l’écriture inclusive c’est le suppôt de Satan, et légèrement complotistes. Voilà pour le profil type. Et clairement je suis fragile donc les trolls je trouve ça horrible, ça m’empêche de dormir. Je suis grande gueule dans mon bouquin mais derrière je suis trop mal pendant des jours à cause de quelques vieux commentaires. 

Quel est ton secret pour garder les pieds sur terre face à cette notoriété soudaine ? 

C’est avant tout ma fille n’est-ce pas … le fait de devoir laver son caca plusieurs fois par jour. Tout ça m’aide à rester dans le moment présent. 

Le cours de yoga le plus nul que tu aies donné ? Ton plus gros flop …

Celui où j’étais, même pas en gueule de bois mais, je pense, encore bourrée … C’était un samedi matin, au tout début où je commençais à enseigner, j’étais allée à une grosse soirée d’anniversaire la veille où je n’avais pas su m’arrêter. Pendant le cours j’ai voulu démontrer Matsyasana, la posture du poisson, et tout s’est mis à tanguer, c’était horrible. J’ai eu super honte même si ne je pense pas que les élèves s’en soient rendu compte. 

Est ce que selon toi le yoga c’était mieux avant ? 

Du haut de ma profonde et longue expérience de prof de yoga quadri millénaire, je n’échappe pas à ce truc un peu nostalgique où je me dis que les années 60 et 70 – qui sont par ailleurs full appropriation culturelle – ça avait l’air dingue. Ils avaient l’air quand même beaucoup moins stressés que nous. Ça avait l’air pas dégueu d’être un.e blanc.he californien.ne privilégié.e dans ces années-là. 

Question à 1 million d’euros : le yoga est-il de gauche ou de droite ? 

En ce moment j’ai l’impression qu’il est un peu de droite. Mais il y a un yoga de gauche qui est en train d’émerger. Je suis vraiment en train de te faire une “réponse sciences-po” : “oui”, “mais”, “je ne vexe personne”, “je garde le cul entre deux chaises”. 

Toi qui a tout à la fois en 2022 déménagé dans une autre ville, eu un enfant, écrit un livre et travaillé, tout ça sans sponsors ni aides sociales : quels conseils motivationnels inspirants peux-tu donner à la France des assistés  ? 

Quand on veut on peut. La fatigue c’est dans votre tête avant tout. La précarité ça pousse à aller de l’avant, à sortir de sa zone de confort. D’ailleurs la précarité c’est ce qu’il m’est arrivé de plus beau. Heureusement maintenant que j’ai publié mon livre je vais pouvoir me “faire de la maille” dixit mes trolls. J’espère donc que l’étincelle ne va pas s’éteindre avec l’argent et la gloire. 

Que vas-tu faire de toute cette fortune ?

Acheter des couches bio qui coûtent un rein et payer la garde de ma fille pour pouvoir travailler derrière car on est dans un monde merveilleux. Je vais peut-être le donner aussi.

Je t’ai préparé une liste de questions « Fast and Curious » en mode Konbini pour honorer notre côté putes à clic (dixit Jean Vishnou, 50 ans, sur Facebook) : 

Aria Crescendo ou Deepak Choprah?
J’allais dire Deepak Choprah car au moins il ne fait pas de l’appropriation culturelle. Mais en fait Aria Crescendo car elle est moins dangereuse que lui. 

Vivekananda ou Ramakrishna ?
Vivekananda parce qu’il n’a pas touché des petits garçons. 

En parlant de ça : Bikram Choudhury ou Yogi Bhajan ?
Au moins Bikram il est “straight to the point”, il est cash.

Bhagavad Gita ou Yoga Sutra?
Yoga Sutra. C’est un texte qui m’a tout de suite parlé parce que yoga citta vritti nirodhah tu comprends … Je suis moins fan du style épique de la Bhagavad Gita, il faut croire que les traités de philosophie arides et chiants c’est plus mon truc. 

Patañjali le philosophe ou Patañjali la marque ayurvédique ?
Je n’ai jamais essayé la marque ayurvédique donc je vais dire le philosophe. 

En parlant de philosophe : Narendra Modi ou Baba Ramdev ?
Elles sont horribles tes questions. La peste ou le choléra. Joker. 

Pāṇini le grammairien ou panini le sandwich ?
Panini le sandwich, je déteste la grammaire. 

Goa ou Ubud?
Ubud parce que c’est plus joli. Mais il me semble que ça pue plus l’argent que Goa. 

Yoga rive gauche ou yoga rive droite ?
Rive droite. 

Kundalini ou Jivamukti ?
Jivamukti, malheureusement. C’était mes premières amours ! 

Crudivorisme ou respirianisme ?
Crudivorisme, je peux pas ne pas bouffer, j’ai trop la dalle. 

Thierry Casanovas ou Raël ?
Raël car il a un côté Christ cosmique qui me parle un peu plus. 

Hare Krishna ou QAnon?
Hare Krishna, au moins ils ont de la bonne bouffe! 

Madre Gaia ou Pacha Mama?
Pacha Mama. 

Shilom ou chicha ?
Je répondrais “salam”.

Couscous ou curry ?
Couscous ! 

Yoga du rire ou yoga bière ?
Yoga du rire. Le yoga bière ça me dégoûte. 

Matcha latte ou golden latte ?
Golden latte. 

Réforme du Veda ou réforme de la retraite ?
Réforme du Véda. 

Loi de l’attraction ou Article 49.3 de la Constitution ?
Putain … Alors 49.3 sous un gouvernement de gauche ? Non je rigole, ça a déjà été le cas et ça n’a pas bien marché non plus. Putain tu vas me faire choisir la loi de l’attraction …  

Ma seule question sérieuse (enfin!) pour terminer. Est-ce que tu penses vraiment qu’il faut tout politiser? Est-ce que ça ne te dégoûte pas du yoga ? 

On est mis face au constat que le yoga est politique, qu’on le veuille ou non. Ce n’est pas tant que je veuille politiser le yoga que de réaliser que le yoga cristallise un ensemble d’enjeux politiques et sociaux, et qu’à ce titre en tant que prof de yoga on ne peut pas trop détourner le regard. J’ai l’impression que c’est un peu ce qui nous a amené à créer ce blog : on a été face à des discours qui, sous une apparence apolitique, présentent une vision du monde et du vivre ensemble qui sont très politiques.A ce titre, porter un regard critique sur le yoga me paraît important.

Et sinon oui, au bout d’un moment j’ai eu un ras le bol, y compris vis-à-vis de moi-même car il y a un côté très moralisateur, voire pédant ou prétentieux parfois … Le côté “mon yoga VS ton yoga” est un peu étouffant. En tant que pratiquante cela m’a aussi enlevé un espace de respiration pour moi-même de devoir mener toutes ces réflexions. Et en même temps, ce sont des réflexions qui sont fertiles. Donc on est un peu condamné à avoir un rapport complexe avec cette pratique car elle soulève tout un tas de choses compliquées. Et je pense que je ne suis pas au bout de mes fatigues, déceptions, remises en cause, dégoût comme tu dis, besoin de retrait, de pratiquer pour soi.

J’ai aussi écrit ce livre pour mettre en ordre tout un tas de questions que je me posais afin de les disséquer. Personnellement je ne suis pas militante dans mes cours de yoga ; je trouve que cela pourrait être une injonction de plus dans un univers où l’on est déjà soumis à tout un tas de contraintes, d’obligations et de moralisation. Je le fais par d’autres canaux comme ce livre, notre blog, les réseaux sociaux. J’essaye aussi de proposer un espace le plus possible en marge des injonctions à la performance et au dépassement de soi et j’essaye de proposer un yoga qui ne fasse pas des promesses miracles, d’avoir une communication autour de ma pratique qui reste la plus humble possible. Et je trouve que c’est déjà politique : proposer un espace dans lequel les gens peuvent respirer, être curieux et non pas dans une démarche d’amélioration de soi. J’espère que c’est un yoga qui peut être libérateur. Ce sont des ambitions simples : un yoga bien-être dans le sens noble du terme, pour prendre soin les uns des autres. Voilà c’est ma réponse Miss France. 

Parce qu’on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même : quelle question ne t’a-t-on jamais posée et que tu aimerais que l’on te pose ? 

Et bien on ne me pose pas de question sur le New Age! Alors que c’est fondateur de la transformation du collectif à l’individuel. En plus c’est en pleine résurgence et il y a une bonne partie de mon livre qui est consacré à cette espèce de bascule de la contre culture hippie au développement personnel et par aussi du New Age qui entre en entreprise. C’est un fil directeur qui est hyper important, qui trouve ses racines dans la religion métaphysique américaine et c’est un thème sur lequel on ne me pose jamais de questions alors que l’on m’en pose beaucoup plus sur l’histoire du yoga, chose que je n’attendais pas forcément. Mais comme le yoga est un phénomène de société, on me pose toutes les questions possibles et imaginables à son sujet. 

Est ce que tu as des produits à vendre, une retraite, un programme en ligne … que l’on pourrait discrètement mettre en avant dans ces dernières lignes ? 

Je n’en peux plus de la promotion de moi-même. N’achetez rien! En fait il y a une ambivalence à écrire ce livre et d’être la prof de yoga qui passe son temps à se vendre parce que “ça fait partie de notre métier”. Je crois que je n’en peux plus de cette dissonance cognitive. Venez avec grand plaisir à mes cours de yoga à Lyon. Je rêve en ce moment d’organiser des groupes d’échange entre profs où on ne paye pas, un peu d’auto formation, où l’on se retrouve sur zoom sur des thématiques précises, avec des échanges horizontaux. Plutôt que ce truc vertical d’accumulation de formations, descendant. J’aspire à ces choses plus horizontales. 

Zineb Fahsi (aka Hansdev Kaur en samadhi pour les intimes) © Zineb Fahsi

3 commentaires sur « Culte de la personnalité, propagande, fausse modestie : l’interview de Zineb par Jeanne »

  1. Super cette idée d’échanges horizontaux entre profs. Ça me fait penser au cartels en psychanalyse, des groupes de travail autour d’un sujet qu’on approfondit et où chacun apporte un éclairage ou des questions à partir de sa pratique, de ses réflexions, de ce qu’il est.
    J’adore et j’adhère !

  2. Avec les copines on a devancé ton rêve de retraite horizontale (mais tu sais que c’est aussi grâce à toi) et je confirme que c’était fabuleux et puissant !

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